Cellule Jinzo...

La voix parut frustrée devant la résistance de Jinzo. Son charabia pour le moment incompréhensible se fit différent, moins pressant et susurrant. Une certaine neutralité l'imprégnait et le débit de paroles suggérait comme des explications fournies au jeune homme. Cela ressemblait à une mère expliquant un fait évident à son enfant. Il y avait également une pointe de colère contenue mais qui n'était pas réellement dirigée sur Jinzo, plutôt sur son attitude elle-même.
Au milieu de cette cacophonie de l'esprit, Jinzo s'aperçut soudainement qu'il en avait occulté son environnement un instant. La première chose qui le frappa lorsqu'il prit compte de ce fait fut les yeux ouverts de Kumiko en face de lui. Des yeux qui le fixaient si intensément qu'être traversé de part en part d'éclairs n'aurait pas changé le ressenti du garçon.
La main de Jinzo était toujours à quelques centimètres à peine du cou de la jeune femme. Il avait réussi à stopper le mouvement mais n'aurait su dire depuis combien de temps les paupières de Kumiko s'étaient relevées, ni ce qu'elle avait pu entendre.
Elle resta un moment silencieuse à l'observer, son visage de porcelaine parfaitement neutre. Finalement, avec une lenteur énigmatique, elle leva sa main vers celle de Jinzo. La voix dans la tête du jeune homme parut protester vigoureusement, presque avec désespoir. Lorsque les doigts de Kumiko touchèrent la peau du jeune homme, la présence s'agita ouvertement et atrocement, provoquant un regain de douleur d'abord dans le crâne de Jinzo, puis dans son corps tout entier. Kumiko attrapa tout à fait sa main dans la sienne alors que l'énergie au bout des doigts de Jinzo disparaissait tout à fait, la présence se faisant moins présente et la fracassante douleur qui lui vrillait les sens s'estompant petit à petit.

Kumiko guida la main de Jinzo sur sa propre joue et l'y déposa, fermant brièvement les yeux, avant d'adresser un léger sourire rassurant au jeune homme. Finalement, elle se leva et écarta avec douceur le bras de Jinzo sur son flanc. Son corps occulta les quelques centimètres qui le séparait du garçon. Kumiko étreignit calmement Jinzo, appuyant la tête du jeune homme au creux de son cou avant de lui murmurer avec affection.

_Tout va bien, Jinzo. Je suis là.

De simples mots. Sept simples mots. La présence implosa et s'évapora en hurlant dans la tête du garçon. Il se sentit reprendre le contrôle de son corps, et un sentiment de plénitude le gagna. Il ne s'était jamais aperçu à quel point il pouvait être bon de "posséder" son propre organisme, de sentir la moindre parcelle de son être répondre à son unique volonté. Ce retour à la normale emplit son cœur du sensation grisante l'espace d'un court instant.

Finalement, Kumiko brisa l'étreinte et recula légèrement pour contempler le visage de Jinzo. Elle reprit.

_Nous allons devoir nous occuper de ce "petit" problème plus tôt que je ne l'avais escompté.

Avant qu'il n'ait posé la moindre question, Kumiko posa un doigt sur les lèvres de Jinzo.

_Tu vas devoir me faire confiance, Jinzo.  Je t'expliquerais les choses en temps et en heure. Pour l'instant, suis moi. Nous allons faire en sorte que tu ne sois plus ennuyé par cette... "chose" et nous pourrons enfin commencer ton ascension.

Kumiko fit un unique sceau avec ses mains, avant de faire un geste vers elle comme si elle souhaitait attirer un objet. De sous le lit de fortune de Jinzo, deux béquilles s'élevèrent lentement dans l'air et voguèrent calmement jusqu'à eux.

_Évites de poser ta jambe au maximum. De ce qu'à dit Yuriko, sa vitesse de guérison dépends uniquement de ton attitude à son égard.

Les béquilles restèrent à flotter au côté de Jinzo, attendant patiemment qu'il daigne s'en saisir. Kumiko commença à avancer vers l'entrée de la cellule, se stoppa une seconde dans l'encadrement des barreaux, et ajouta.

_A propos de Yuriko... elle parle trop...

Kumiko reprit sa marche sans plus attendre. A ses dires, Jinzo pouvait aisément en déduire que sa mentor avait absolument tout entendu de sa conversation avec Yuriko. En revanche, il lui était bien impossible de savoir comment c'était possible car il était certain que la jeune femme dormait à  ce moment là.

Kumiko guida Jinzo jusqu'à la lourde porte de bois qui marquait la fin du couloir de l'aile où sa cellule se trouvait. Avant de l'atteindre, elle refit un petit sceau avec ses mains, tout en marchant, puis avança sa main dans l'air devant elle comme si elle avait voulu pousser un objet imaginaire. La porte s'ouvrit lourdement pour les laisser passer, avant de se refermer de la même manière lorsque la jeune femme procéda au mouvement inverse avec sa main. Elle emprunta des couloirs qui se ressemblaient tous strictement, suffisamment large pour que deux personnes s'y croisent où progressent en parallèle, fait de lourdes pierres plus ou moins en bon état si bien que Jinzo dû faire attention à l'endroit où il posait les pieds des béquilles.

Ils arrivèrent enfin devant une autre porte de métal cette fois, et Kumiko frappa deux fois dessus, en espaçant de trois secondes exactes les chocs sur le métal.
Le battant s'entrouvrit pour leur laisser passage. Kumiko fit signe à Jinzo d'entrer le premier.

Le jeune homme arriva dans une salle assez grande, circulaire, éclairée par un immense lustre au plafond où brûlait bruyamment un brasier. Sur le sol de la pièce, occupant presque tout l'espace, un immense sceau était gravé à même la pierre. Sa taille obligeait tout observateur à même le sol à bien étudier les courbes du dessin pour comprendre qu'il s'agissait d'un sceau. Sur le pourtour du mur en cercle, de gros cristaux de la taille d'un torse humain étaient lourdement scellés à la pierre par des étaux de métal noir, et paraissaient pulser d'une étrange lueur bleue toute les trois à six secondes, en cadence, telle la respiration d'une créature intangible.

Kumiko passa à côté de Jinzo durant sa contemplation de la salle, et la traversa jusqu'à l'autre extrémité, passant sur le flanc d'un individu qui se tenait au centre du sceau. Jinzo sentit légèrement la présence dans son être s'agiter à nouveau.



_Je vois que tout est déjà prêt, Fujii-san. Comme toujours avec toi. Je te serais redevable avec ceci.

Kumiko fit volte face pour toiser le centre de la pièce. L'étrange individu portait un masque assez étrange, simulant une tête de mort en beaucoup plus simplifiée et qui aurait perdu le bas de sa mâchoire. Tout de noir vêtu, à l'exception d'un drapé rouge, long, entourant sa taille et tombant jusqu'à ses chevilles, il se tenait parfaitement immobile et ses yeux ne lâchaient pas Jinzo du regard.

_Viens par ici, Jinzo-san. Mets toi à ma place je te prie.

Sa voix était un peu roque, son ton ni impérieux ni suppliant. L'homme paraissait sur de lui sans en faire trop. En tout les cas, il se dégageait de sa silhouette une sensation d'inconnue à la fois attirante d'un côté et poussant à la prudence de l'autre.




Il s'écarta légèrement de sa position, indiquant de la main la place que Jinzo était censé prendre.